Hadrien

by Alexander Purves

Wendy Artin, Hadrien, watercolor, 2009

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L’éclat de la lumière du soleil reflétée, des zones d’ombre lumineuse – et dans toutes les œuvres, une perception saisissante du temps qui passe. Wendy Artin a toujours été une peintre de la lumière. Désormais, elle prend également en compte la richesse du temps.

Le choix d’un thème par un artiste est toujours révélateur. Après des années passées à peindre dans Rome et ses environs, Artin s’est rendu compte qu’il existait un fil conducteur entre tous les thèmes : le grand empereur Hadrien. Inspirée par l’opus reticulatum et les colonnes grecques cannelées de la Villa Adriana, elle a commencé une série d’aquarelles sur Hadrien, sa villa, son amant. Tel qu’elle le constate elle-même : « Ce qui m’intéressait le plus était l’opus reticulatum et les colonnes, brisés par l’usure du temps. C’est leur massivité et leur délicatesse que j’ai essayé de restituer … l’effet de ces géants à la fois forts et fragiles. » Et cette simple contradiction est peut-être intéressante, car elle est à l’image du double paradoxe des tableaux eux-mêmes : ils représentent la solidité des colonnes en utilisant le moyen le plus fragile et expriment leur résistance avec des coups de pinceau qui ne durent qu’un bref instant.

Le temps a toujours été implicite. Dans ses tableaux de nus, notamment ces aquarelles rapides qui représentent une pose éphémère, la technique d’Artin coïncide avec la spontanéité du sujet. Elles sont toutes deux saisies sur le vif. La pose et l’acte de peindre évoluent ensemble, à un rythme synchronisé. Le danseur reste immobile – le pinceau agit rapidement ; le pinceau s’arrête – le danseur s’étire et se replace. En regardant ces tableaux, l’on observe le temps qui défile. Les paysages sont également pris sur le moment. Son utilisation du monochrome met en évidence que la lumière constitue le véritable sujet de ces toiles – représentations du soleil et de l’ombre. Mais l’on a toujours conscience que le soleil bougera – ou sera couvert par un nuage – et que les représentations changeront. L’existence intense de ce moment ensoleillé sera terminée.

Alors que les nus et les paysages instantanés saisissent un moment, ces nouvelles colonnes, mosaïques et statues exploitent un filon plus riche. Elles évoquent le temps, mais le temps considéré comme un continuum qui s’étend de la sculpture du marbre jusqu’au moment présent. Que d'histoires elles ont à raconter au sujet d’Hadrien et de sa villa, des années de prestige suivies par des siècles d’oubli, de pillage, de redécouverte, de controverse archéologique et de clichés pris par les touristes ! L’esprit d’Hadrien, qui a parcouru le monde méditerranéen et voulu restituer ses souvenirs sur le versant d’une colline à Tivoli, y est toujours présent. Elles évoquent également l’acte de construction, d’extraction de la pierre ancienne, d’édification des fûts et de disposition avec minutie des entablures, de sculpture des chapiteaux avec une telle finesse que l’énorme poids aura l’air d’être supporté par un panier de feuilles. L’on décèle leur rôle dans la structure initiale car l’artiste ne nous montre pas le chapiteau de la colonne, pris isolément et décapité, mais l’ensemble auquel il appartient – jusque dans les airs au sommet de son fût, en exaltant le délicat transfert architectural d’une charge très lourde d’une poutre horizontale vers une colonne verticale.

Bien que sa technique puisse avoir le dynamisme de la calligraphie, chacune de ces images est le fruit d’innombrables heures d’observation intense. Il serait tout simplement impossible de réaliser une aquarelle avec cette complexité, cette taille et cette précision à l’extérieur. Cependant, Artin commence toujours par faire des esquisses sur place – à l’aquarelle – dans lesquelles elle saisit les valeurs et l’ensemble de la composition, et exprime sans doute sa première émotion.

Le temps de l’Histoire est vivant dans ces toiles, mais le temps présent s’y trouve également – les moments de l’expérience du lieu de l’artiste et de son art de la représentation. Nous ressentons avec elle la chaleur du soleil, la luminosité de Rome. L’artiste le décrit ainsi: « Pierres chaudes, chant des grillons, beaucoup de calme, le soleil qui révèle les formes avec des ombres comme des flaques d’aquarelle transparente. Un léger vent souffle sur les plantes brûlées par le soleil ; le même vent qui, pendant des siècles, a peu à peu érodé et parfait les formes architecturales qui semblent éternelles, dans leur grande immobilité. » Le fait qu’elle puisse restituer cette atmosphère témoigne de sa sensibilité et de son talent. Quand elle le peut, elle se limite a un seul lavis de sorte que la lumière reflétée en dehors du papier ne se perd pas et que ses tâches minutieuses semblent spontanées. Sa maîtrise est telle qu’elle parvient à faire de l’eau et du pigment le dégradé de valeurs le plus raffiné. Nous pouvons examiner les ombres et découvrir des formes définies par la lumière reflétée par-dessous. L’aquarelle est unique en égard à sa capacité de retracer l’acte de peindre, et comme nos yeux relèvent les endroits que le pinceau a manqués ou où l’eau a fait une flaque, nous assistons à la création de l’œuvre.

L’œuvre de l’artiste prend également vie au moment où nous regardons les tableaux. Nous participons à la création de la représentation, nous la complétons dans notre esprit. Sa précision est parfaitement ajustée. Elle sait quand elle doit s’attarder sur un détail et quand elle ne doit pas insister sur celui-ci. Le contour d’une forme est parfois distinct, parfois flou et parfois inexistant, comme lorsque la brillance du soleil le fond dans le blanc du papier.

Ce marbre inerte est tellement empreint de lumière, de vie, de mémoire, que nous sommes obligés d’oublier qu’au final, ce ne sont que des tâches sur un bout de papier réalisées par les coups d’un pinceau. La beauté de l’image nous bouleverse.

Alexander Purves
Septembre 2009

Wendy Artin, Columnae, watercolor, 2009